Le 4 août 2016, Mine Raglan, une compagnie Glencore, achevait la construction de la première et la plus grande éolienne du Grand Nord québécois. Pour la société minière, les défis à relever ont été nombreux, à commencer par celui imposé par les conditions climatiques extrêmes.
Maintenant qu’elle est construite, cette éolienne pourrait bien donner le signal du développement de cette filière énergétique pour des projets miniers en région éloignée, pour des communautés nordiques et pour le développement économique du Nord. Revue d’un projet fascinant avec Jean-François Verret, directeur Projets capitaux et Exploration.
Mine Raglan est située au Nunavik, à la hauteur du 62e parallèle, et à une distance de 1 545 kilomètres de Rouyn-Noranda et de plus de 1 800 kilomètres de Montréal. Plus haut que cela, c’est le cercle polaire!
Dans cette région, il n’y a pas de lignes électriques. Comment faire alors pour produire l’énergie requise par les installations et les opérations minières? Il faut faire venir du diesel, des millions de litres de diesel! Et c’est ici que ça se complique : le transport ne peut se faire que par bateau et la période navigable dure 9 mois. Arrivé au port, il reste encore 100 kilomètres à parcourir, sur une route en gravier qui emprunte des ponts enjambant d’innombrables cours d’eau, pour enfin arriver à la mine. Imaginez la chaîne logistique pour le transport, mais aussi pour l’entreposage de ce carburant! Sans compter la gestion des risques! Car il s’agit de protéger cet environnement d’une beauté et d’une pureté remarquables.
« Vers les années 2008-2009 », raconte Jean-François Verret, « une équipe chez Mine Raglan s’est mise à examiner des solutions qui nous permettraient de nous libérer de notre dépendance aux carburants fossiles. » À la clé : réduction des dépenses d’exploitation et de l’empreinte environnementale.
L’éolien s’est rapidement imposé comme une solution avantageuse.
D’immenses défis à relever
La plupart des éoliennes sont conçues pour des climats tempérés. Le givre, les blizzards et le froid à -40 degrés Celsius ne font pas bon ménage avec ces éoliennes. Heureusement, les percées technologiques des dernières années ont permis à un fabricant en particulier, la société allemande Enercon, de mettre au point une éolienne capable de fonctionner dans des conditions climatiques extrêmes.
- Leur éolienne utilise une turbine à entraînement direct qui fonctionne sans boîte de vitesse, ce qui élimine les engrenages et les huiles qui gèlent par temps très froid.
- Les pales possèdent des réglages individuels qui permettent d’affronter des blizzards de plus de 120 km/h.
- Enfin, leur éolienne est équipée d’une chaufferette qui fait fondre la glace.
Autre défi : celui de la construction. D’ordinaire, les éoliennes reposent sur une base en béton posée au sol. Impossible dans cette région! Le pergélisol, soit la partie du sol en surface qui est gelé en permanence, peut fondre sous l’effet des variations de température. La base serait donc instable. Considérant que l’éolienne pèse 600 tonnes, 1 200 si on inclut sa fondation…
Pour relever ces défis, une équipe de projet composée de représentants de Mine Raglan, Tugliq (firme spécialisée en optimisation des coûts d’énergie) et Hatch (firme d’ingénierie), a été mise en place.
« Les ingénieurs de Mine Raglan, Tugliq, Hatch et de la société Enercon ont eu une idée brillante », souligne Jean-François Verret. « Ils ont conçu une fondation faite de 12 pieux d’un demi-mètre de diamètre, disposés en éventail. Ces pieux traversent le pergélisol et s’appuient sur le roc, 16 mètres plus bas. Donc, l’éolienne ne touche pas le sol, une première au Québec. »
D’autres défis attendaient Mine Raglan. Il fallait construire l’éolienne en 3 mois, seule période où la température est suffisamment clémente. La coordination a été complexe. Il a fallu faire transporter l’éolienne et la grue en pièces détachées et les faire livrer « juste à temps ». « La construction s’est terminée quelques heures à peine avant l’arrivée de l’hiver », se rappelle Jean-François Verret qui ajoute que le travail d’équipe a réellement été la clé du succès.
Mine Raglan fait office de pionnière!
La véritable innovation réside dans la décision d’intégrer 3 technologies de stockage de l’énergie à l’éolienne:
- Un système de volants d’inertie qui permet le stockage de l’énergie;
- Une batterie au lithium-ion pour le démarrage des génératrices au diesel ou des piles à combustible;
- Un système jumelé à des piles à combustible hydrogène afin de réduire au minimum la perte d’énergie éolienne lors de faible demande.
« Une éolienne normale », explique M. Verret, « n’offre qu’un rendement de 15 à 20 %. Lorsqu’il vente peu, l’éolienne ne produit pas ou très peu d’électricité. En revanche, lorsqu’il vente très fort pendant plusieurs heures, elle produit beaucoup d’électricité, dont une partie est perdue en l’absence de technologies de stockage, d’où ce rendement de 15 à 20 %. »
Grâce aux 3 technologies de stockage mises à l’essai, le rendement de l’éolienne pourrait atteindre entre 35 et 55%, un gain appréciable.
Ces technologies seront testées pendant 5 ans. « Il y a encore des défis à relever du côté des systèmes de stockage », selon Jean-François Verret. « L’éolienne, elle, est un succès », ajoute-t-il.
Il y a très peu de projets éoliens comparables en ce moment, ce qui explique que les coûts sont si élevés. « Les coûts sont un frein au développement de cette filière », explique M. Verret. « Pour faire baisser les coûts, il faudra plusieurs autres projets, ce qui permettrait d’atteindre une masse critique. La réduction des coûts servira d’élément déclencheur. On verra alors des projets de production d’énergie éolienne dans les plans d’affaires des sociétés minières. »
Voilà pourquoi l’expérience menée par Mine Raglan suscite tant d’intérêt dans l’industrie minière, mais aussi dans les communautés nordiques. « Les gouvernements, qui souhaitent stimuler le développement des régions nordiques, l’ont bien remarqué », selon M. Verret. Il ajoute : « ils se doivent de donner l’impulsion aux projets par des incitatifs financiers. Les retombées seront nombreuses :
- Réduction des émissions de gaz à effet de serre
- Réduction de notre dépendance aux énergies fossiles
- Développement économique de toute une région avec ses incidences sur les investissements, la création de nouvelles entreprises et la création d’emplois
- Amélioration des conditions de vies des populations nordiques. »
« Tout le Québec en ressortira gagnant », conclut Jean-François Verret!